INTERVIEW DE MAHIEDINE MEKHISSI : « J’AI VÉCU L’ENFER »

Dans le cadre de sa campagne Unlimited, Nike a organisé un évènement dimanche dernier au stade Charléty pour célébrer les athlètes qui ont réussi à Rio. C’est avec un immense plaisir que nous avons fait la rencontre de Mahiedine Mekhissi, le Eric Cantona de l’athlétisme.

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Bravo pour ce que tu as fait à Rio. Des 3 médailles Olympiques que tu as décrochées (2 à Londres, 1 à Rio), est-ce que c’est celle qui a le plus de saveur ?

C’est surtout la plus dure. 2015 saison blanche, je reprends l’entrainement en décembre en 2015. C’était un contre la montre pour Rio. J’ai violenté mon corps pour essayer de revenir le plus rapidement possible. La saison n’a pas été facile pour moi car j’ai pris aucun plaisir à courir, tout était dur. 9 mois d’arrêt, 20 mois sans compétition, donc ouais, ça a été la plus dure.

Raconte nous ta journée type sur le village Olympique.

Premièrement je n’ai pas aimé ce village. Il n’y avait rien. J’ai vécu Pekin, j’ai vécu Londres, là Rio, ce sont les pires Jeux en terme d’organisation, et surtout en terme de cohésion Équipe de France olympique. À Londres, à Pekin, on avait un lieu de vie en bas où on se retrouvait tous, on mangeait ensemble. Là c’était mal fait, c’était chacun dans son coin. Les judokas avec les judokas, les runners avec les runners, mais c’est surtout parce que le village était mal fait. Et au niveau de la nourriture… voilà tout n’était pas terminé au village. Par exemple notre bâtiment, dans chaque salon il n’y a pas de baie vitrée ou de fenêtre. Donc on avait l’impression de dormir dehors, il faisait chaud, il y avait du bruit. Il y avait des vols tous les jours, il fallait faire attention, il fallait tout le temps fermer sa chambre. Je n’ai pas aimé ce village, puis on était loin de tout. Si tu voulais sortir, il fallait au moins 45 minutes de bus ou taxi pour rejoindre le centre.

En parlant de sortie, c’est vrai que vous aviez un Mcdo à volonté ?

À Londres et à Pekin, le Mcdo était dans le village et au self-service de la cantine. Là il était à l’extérieur et ce n’était pas tout le temps ouvert. Alors que les autres jeux, tu pouvais même y aller à 3-4h du matin. Mais il fallait être patient car il y avait une sacré file d’attente.

« Ce sont les pires Jeux en terme d’organisation »

 Tu semble t’être spécialisé sur 3000m steeple, c’est la distance qui te procure les meilleures sensations ?

C’est la plus dure. Je me considère comme un coureur de demi-fond, j’ai horreur qu’on me catalogue comme un coureur de steeple. Je suis un coureur de 1500, 3000, 5000, cross, je suis champion d’Europe du 1500, j’ai été champion d’Europe en salle sur 1500, en plein air, donc je me considère comme un coureur avant tout.

Elle est bonne l’eau de la rivière ?

Il faut savoir qu’on ne sent pas trop l’eau car il y a juste un pied qui rentre dans l’eau, et encore. Si tu sautes bien, tu ne touches même pas l’eau.

Le 2 octobre, Nike organise le 10KM Paris Centre. Ça te brancherait de le courir ?

J’ai fait un 10KM Nike il y a 2 ans à Madrid mais pourquoi pas. Après je pense qu’à cette période je serai en vacances, il me reste 2 compétitions normalement cette saison : Diamond League de Bruxelles et le DécaNation.

Est-ce que tu as un objectif particulier sur ces deux compétitions ?

Essayer de terminer sur une bonne note.

france-yoann-kowal-france-mahiedine-cbde-diaporamaEuropean Athletics Championships 2016

Comment on arrive à trouver l’énergie après les Jeux Olympiques pour enchaîner sur d’autres meetings ?

C’est pas facile. Les Jeux c’est 4 ans de préparation, une fois passé… tu as envie de dire aux gens de nous laisser tranquille, t’a pas envie de courir.

Du coup le Meeting de Paris arrivait beaucoup trop tôt non ?

Moi je ne te mens pas, je voulais pas courir. Mon coach m’a dit de courir, mon agent aussi, la fédération… J’ai terminé la course pour terminer, mais je n’ai pas vraiment couru. J’étais pratiquement en footing. J’aurais préféré ne pas courir. En demi-fond quand tu es KO… c’est pas comme une course de sprint. Là tu cours pour 7 tours et demi…(rires) Il n’y a que des demi-fondeurs qui peuvent me comprendre.
Décalage horaire, beaucoup de solicitations… 4 jours après être arrivé on te dit qu’il faut courir en Diamond League, pas facile hein, sachant que les mecs dans ta course n’étaient pas aux Jeux, ils étaient chauds, ils revenaient de stage, ils avaient faim. Toi, tu arrives, tu te demandes comment tu vas faire pour courir.
Après Rio pour moi c’était décompression, j’avais envie de dire aux gens, voilà, allez vous faire foutre…Façon de parler hein, mais laissez-moi profiter quoi.
L’athlétisme c’est le seul sport ou derrière une grosse compétition, tu n’es pas en vacances…

« Moi je ne te mens pas, je ne voulais pas courir. »

Question plus générale, tu as des athlètes qui t’inspirent ?

Le seul sportif qui m’a inspiré c’est Mohamed Ali. Pour le personnage, pour l’histoire vécue, pour moi c’est le plus grand sportif de tous les temps.

Sur Jolie Foulée on fait des playlists. Quels sont tes 3 sons/artistes qui t’aident à te préparer ou te mettent la patate avant d’aller en compétition ?

J’en ai beaucoup, j’écoute un peu de tout. Rap Américain, rap Français, du Raï… ça dépend. Moi rap Français, j’écoute beaucoup des anciens sons, Rohff, Booba, Kery James, Rim’K…à l’ancienne. Parce que les sons de maintenant qui passent sur Skyrock, c’est pas du rap. Ils me font rire les rappeurs qu’ils ramènent. Excusez-moi, je ne vais pas citer des noms mais tu vois les mecs tu te dis  » c’est quoi ça ?  » Pour moi le rap c’est le rap de rue.

C’est quoi ta définition d’une Jolie Foulée ?

Pour moi elle doit être économe, économique, une certaine aisance de course. Tu ne dois pas être crispé, tu dois être détendu, tu dois être fort. Tu dois avoir de la force au sol, et de l’aisance au niveau du haut. Ça doit être fluide.

Pour revenir sur le village Olympique, sachant que c’était tes troisièmes jeux, c’est intéressant d’avoir ton ressenti et ton expérience là-dessus, tu nous disais que Rio c’était un peu moins bien…(Il coupe)

Sincèrement vous me payez des vacances, billet d’avion en Business, l’hôtel, je ne retournerai pas en vacances au Brésil. Le Brésil ce n’est pas ce qu’on croit. Demandez à tous les sportifs. Rien que le stade il n’y a pas de flamme olympique. Le matin je me motivais tout seul, j’avais l’impression que c’était une course lambda, un petit meeting. Je sentais rien, je n’avais pas l’impression d’être aux Jeux Olympiques.

« Sincèrement, vous me payez des vacances, billet d’avion en Business, l’hôtel, je ne retournerai pas en vacances au Brésil. »

Par rapport aux autres fédérations, tu en as vu qui te semblaient plus soudées ? Qui avaient une bonne humeur et qui te donnaient limite envie d’aller avec eux ? Ou des athlètes parmi d’autres fédés avec qui tu aimes passer du temps ?

Vu que c’était mes troisièmes jeux, je connais pas mal d’autres sportifs. Moi j’aimais bien me poser avec les judokas, c’est des mecs biens. Quelques basketeuses de l’équipe de France, les basketeurs aussi. Après il y avait beaucoup de nouveaux, qui étaient déçus de leurs premiers jeux par rapport à l’organisation. Mais je leur ai dit  » Ne vous inquiétez pas, c’est pas ça les Jeux. « 

« Ne vous inquiétez pas, c’est pas ça les Jeux. »

Tu penses que tu iras à Tokyo ?

Je n’ai pas envie de penser à Tokyo. Pendant 4 ans on nous bassine avec Rio, là c’est à peine fini que les gens me parlent de Tokyo. Avec l’expérience maintenant je me dis  » Savoure, savoure « , l’année prochaine il y a les championnats du monde et encore, j’ai même pas envie d’y penser. Moi je reviens de l’enfer. Va dire à tous les coureurs de demi-fond : rupture du tendon d’Achille, reprise en décembre, puis faire le parcours que j’ai fait à Rio. Tu vas voir ce qu’ils vont dire. Moi je sais d’où je viens. C’est pour ça hier, j’ai tellement violenté mon corps toute la saison, que j’avais pas envie de courir. J’ai fait 8’15, c’est pas le chrono en plus. J’en ai voulu à mon coach, à mon agent car quand une personne ne veut pas il ne faut pas forcer les gens. Après c’est les contrats… j’aurais préféré être présent et ne pas courir, mais bon, c’est passé.

« Moi je reviens de l’enfer. »

Tu aurais dû faire comme Christophe Lemaître et dire que tu as un petit rhume.

Lemaître il a bien fait ! (rires) Lui juste avant le départ il dit  » Ah je cours pas  »  Certains leurs maladies c’est diplomatique. En fait, ils ont tellement bu, ils se sont tellement mis minables, tous les soirs, là ils étaient dans un état ils ne pouvaient pas courir…

 Un grand merci à Mahiedine pour son temps et son franc parler. Bonnes vacances à lui, et on l’attend pour une nouvelle belle saison.

Bravo champion.

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