Réputée comme la compétition la plus difficile de la planète, la Barkley Race est une vraie course de zinzins. Une course pour laquelle participants comme participantes ne doivent pas oublier leurs cojones à la maison. Les sportifs qui se rendent à Frozen Head dans le Tennessee pour s’aligner sur cette épreuve font en effet face à une accumulation de difficultés rendant infimes leurs chances de terminer la course. Depuis sa création en 1986, sur 1000 dingos ayant pris le départ de la course, seuls 14 bogosses peuvent se vanter d’être finishers de la Barkley. Créée par le facétieux et énigmatique Laz, la Barkley est aussi une course à part pour son esprit et les valeurs qu’elle sollicite. Un savant mélange d’ironie, de solidarité et de dépassement de soi qui donne à la Barkley un charme particulier. Plus qu’une course immensément dure, il s’agit de la course la plus folle du monde.
La prison, 1,60$ et une lettre de condoléance
Le 10 juin 1977, James Earl Ray, condamné à 99 ans de prison pour avoir assassiné Martin Luther King, s’évade du pénitencier de Brushy Montain dans le Tennessee. Il est rattrapé 3 jours plus tard, dans la forêt à 8 miles de la prison. Gary Cantrell (ou Lazarus Lake dit « Laz ») connait bien la région qui entoure Brushy Montain car il pratique la randonnée à cet endroit. Ainsi, il trouve assez ridicule la performance de Earl Ray qui s’est éloigné de seulement 8 miles en 3 jours. Il décide d’organiser une course dans cette zone pour déterminer la distance que l’on peut parcourir en 60 heures.
La Barkley voit le jour en 1986, depuis sa création, la procédure d’inscription reste la même. Dans un premier temps on doit réussir à entrer en contact avec Laz, pas de date, ni d’adresse, ni de site officiel. Il faut passer par de longues heures d’investigations pour pouvoir présenter sa candidature. Si celle-ci est retenue, le gros Lazarus envoie au futur participant une lettre de condoléance dans laquelle il s’excuse par avance de l’avoir sélectionné puisqu’il sera soumis à de terribles souffrances. Pour valider l’inscription, pas besoin de fucking certificat médical mais d’1,60 dollar, d’une plaque d’immatriculation de sa région d’origine et d’une dissertation répondant au sujet « Why I should be allowed to run the Barkley« . Inutile de dépenser une fortune pour participer à la course la plus exigeante du monde.
Un parcours d’enfoiré
Chaque année, Laz prend un malin plaisir à concocter un parcours toujours plus hardcore. En moins de 60 heures, les athlètes devront terminer 5 boucles d’environ 32km soit 170 au total. Le dénivelé est digne des plus fameux ultra-trails : 20000 mètres de D+. Il faut également savoir que le terrain est particulièrement inhospitalier, la plupart du tracé ne se fait pas sur du chemin mais à travers les broussailles ou sur du rocher, on emprunte même un passage dans les égouts de la prison. Enfin, rien n’est balisé, les concurrents se dirigent à la boussole vers les 13 points de contrôle (ils doivent arracher la page correspondant au numéro de leur dossard sur 13 livres répartis à différents endroits de la course). La vitesse moyenne des runners sur la Barkley est de 5km/h.
Une clope et on galope
La Barkley est aussi rendue extrême par les conditions dans lesquelles sont plongés les concurrents et par la pression psychologique qu’exerce sur eux ce gentil cinglé de Lazarus. Le parcours (modifié chaque année) est dévoilé seulement la veille de la course. Il n’y a pas d’heure précise de départ, quand cela le chauffe (au milieu de la nuit), le barbu souffle dans sa corne de brume, à partir de ce moment, les coureurs ont une heure pour se préparer. Le chrono est lancé au moment ou Laz grille sa première clope de la journée. Alors qu’ils vont affronter la chaleur sur les sommets, subir les températures négatives (jusqu’à -10°C) ou encore tenter de dormir quelques minutes dans un coffre de voiture pendant 3 jours, les runners ne disposent sur le parcours que de deux ravitaillements. Pas de banane, pain d’épices, saucisson ni de coca ou boisson énergétique, il s’agit de deux points d’eau et c’est déjà pas mal. La troisième des cinq boucles se fera en sens inverse, histoire de brouiller les repères de ceux qui sont encore en piste à ce moment là.
« A un moment, abandonner c’était la seule option… »
Si participer à la Barkley est déjà un exploit en soi, chaque boucle terminée est une victoire. Terminer la course est proche de l’irréel puisqu’il y a eu dans l’Histoire plus d’astronautes ayant marché sur la Lune que de sportifs ayant achevé le Barkley marathon. L’esprit de compétition n’a pas vraiment sa place à Frozen Head. La communauté de coureurs qui s’y retrouve a plutôt le sens du partage et de la solidarité, de l’humilité face à la nature et de l’admiration pour la performance de ceux qui sauront repousser leurs limites le plus loin possible. Tous embarqués dans la même galère, ils tentent de donner tort à leur ami Laz. Comme l’exprime si bien Jared Campbell, finisher de la Barkley 2012 et vainqueur de l’édition 2014, « on est toujours à la limite de ce qui est humainement possible ». Michiel Panhuysen, venu de Hollande pour prendre part à sa troisième Barkley a dû une nouvelle fois renoncer cette année, « à un moment, abandonner c’était la seule option… » déclare-t-il à la fois déçu et soulagé. Il rend un bel hommage à Jared : « nous on abandonne mais ceux qui n’ont pas compris terminent ». L’année prochaine, la barre sera encore plus haute car Lazarus Lake souhaitera voir si Jared Campbell (ou un autre malade) pourra accomplir l’impossible, alors on souhaite beaucoup de courage à Michiel et aux futures Barkley runners.
Pour ceux qui souhaitent s’imprégner un peu plus de l’ambiance de la Barkley (et pour les petits batards qui ont la flemme de lire l’article), on vous recommande fortement l’excellent reportage de l’équipe d’Intérieur Sport et pour les bilingues le docu de l’américain Brendan Young. Ces films vous permettront de faire plus ample connaissance avec Laz, Jared, Michiel, les autres participants et le parc de Frozen Head :
Barkley 100 from Zephyr on Vimeo.