Il est une personnalité incontournable du sport et de l’athlétisme en particulier, ceux qui ne connaissent pas son nom ont au moins une fois entendu sa voix devant les exploits de Bolt ou de Lavillenie. On l’apprécie ou on ne le supporte pas, très peu de gens n’ont pas d’avis à son égard. On vous aide à vous faire une idée sur un personnage qui nous a accueilli avec beaucoup de simplicité et qui nous a parlé sans filet de son métier et de la course à pied. Rencontre avec Patrick Montel Jordan.
Salut Patrick, on va tout simplement commencer par vous demander comment ça va pour vous ?
J’ai la grippe mais j’ai toujours une pêche d’enfer pour reprendre une expression juppéiste.
Vous êtes LA voix de l’athlétisme en France, c’était une vocation ? Comment en êtes-vous arrivé jusqu’à obtenir le prix du meilleur direct TV au Micro d’or 1998 ?
J’ai rien demandé, rien fait de spécial, la chance de pouvoir exprimer ma passion de toujours, je commente depuis l’âge de 3 ans. J’ai pu saisir des opportunités, pas toujours évidentes. Énormément de gens ont un potentiel, un talent, mais n’ont pas l’occasion de les mettre en évidence, j’ai eu ce rendez vous avec la chance, ça part d’une blessure.
Une blessure ?
Mon meilleur ami, le seul ami que j’ai jamais eu, est mort dans un accident de voiture. Il bossait à France TV, j’étais enseignant. Soit je faisais son métier, soit je devenais fou. C’est comme ça que j’ai basculé. Cet ami c’est Dominique Duvauchelle, son nom a été donné au stade de Créteil, les gens ne savent pas vraiment de qui il s’agit. C’était mon ami.
On sait que vous pratiquez la course à pied ? Quel est votre niveau ?
Niveau très médiocre, je cours à 11 à l’heure. 3 fois 10 bornes dans la semaine. Ça me permet de me sentir plus intelligent. J’ai l’impression de mieux raisonner. Je cours pour être plus intelligent. Je refuse le chrono, je cours en nombre de chansons en mode aléatoire. C’est Bernard Faure qui m’a appris à courir aux sensations. J’ai horreur du chrono, je me moque gentiment des coureurs qui ont le réflexe d’appuyer sur le chrono même s’ils ont une puce dans la chaussure. La course à pied c’est être libre, le chrono est trop réducteur.
Une course que vous pouvez conseiller à nos lecteurs ?
La plus belle course du monde (que je ne coure pas mais que j’anime), c’est le 15km du Puy-en-Velay, le 1er mai. C’est un évènement incroyable car il se crée une communion exceptionnelle entre les spectateurs et les coureurs. Je ne suis pas croyant mais la course à pied se marie parfaitement avec l’atmosphère particulière de cette ville.
On sait que vous êtes assez proche de pas mal d’athlètes, c’est important pour vous ?
C’est hyper important car si on n’aime pas les gens on ne peut pas être passionné par ce qu’ils font. Mon émotion n’est pas véhiculée par la performance mais par l’amour que j’ai pour ces gens là. Si je devais en citer quelques uns, Pierre-Ambroise Bosse car il est lunaire, atypique, hyper intelligent. Yohan Diniz, à l’opposée de PAB mais extrêmement intelligent qui donne envie de suivre la discipline qu’il pratique. Et puis Benjamin Compaoré car j’aurais voulu lui ressembler : beau, très attentif aux autres, c’est quelqu’un qui me touche beaucoup, au dessus du lot. Pas mal de filles aussi mais ce sont ces trois là qui me viennent en tête directement.
Qui est le ou la championne qui vous a fait le plus vibrer ? Marie-Jo ?
Ben ouais mais non parce que Marie-Jo j’ai épousé sa carrière, c’est très fort pour moi mais j’ai connu des émotions plus fortes avec des anonymes. Sarah Etongue la camerounaise, mère de six enfants qui a gagné 7 fois l’ascension du mont Cameroun. J’ai une histoire d’amour très forte pour elle. Marieke Vervoort, athlète belge paralympique qui a été championne du monde, championne Olympique. Une femme qui souffre tellement qu’elle songe sérieusement à l’euthanasie. Elles m’ont transformé.
Qui pour toi représente l’avenir de l’athlétisme français ?
Y’en a plein, le premier qui me vient à l’esprit c’est Wilhem Belocian, je le vois champion Olympique à Tokyo en 2020. C’est quelqu’un qui saura saisir sa chance, comme Ladji à Helsinki ou Galfione à Atlanta.
La course à pied est vachement à la mode mais les athlètes de haut niveau restent pour la plupart dans l’ombre, que faire pour qu’ils soient plus reconnus ?
Malheureusement c’est assez paradoxal car l’activité loisir se développe très fort notamment le trail mais par rapport à l’élite, c’est en perdition. Pourquoi ? Car les gamins n’ont pas envie de souffrir à l’entrainement. Ils préfèrent la moto ou les jeux video, c’est dur de mettre un gamin sur cross. On a le sport que la société mérite, dans la notre la course à pied n’a pas la place qu’elle tient en Ethiopie par exemple. On est dans une économie de loisir.
Quel est le personnage le plus fou que vous ayez jamais croisé ?
En athlé, le plus fou, bonne question, pas beaucoup de fous… Je le connais pas le mec mais je le trouve extraordinaire, c’est le chinois à la hauteur qui salue la foule à chaque fois, qui fait des petites mimiques qui est complètement barge. A la hauteur homme y’a beaucoup de barjots. Chez les femmes c’est très académique mais on récupère les fous à la hauteur masculine.
Quelle est votre discipline préférée ? Y’a t’il une discipline qui vous fait chier ?
J’aime bien la hauteur féminine, c’est hyper macho comme réponse mais j’aime bien. J’aimais le marathon, je l’aime un peu moins maintenant avec toutes les drogues utilisées. On lit moins la course sur les visages, Bernard Faure m’avait appris à lire la course sur les visages mais c’est fini maintenant, je regrette ça. Je préfère les épreuves d’endurance au sprint même si Bolt m’a réconcilié avec le sprint, l’arrogance des sprinters m’a toujours gêné.
On doit l’avouer, y’a des fois où on a chialé devant notre télé, vos commentaires y étaient peut-être pour quelque chose aussi. Ça vous est déjà arrivé de pleurer derrière le micro ?
Bien sur, souvent, très souvent, parce que les pleurs, les rires c’est la vie. Evidemment que le sport me fait pleurer, de joie, de dépit, de chagrin réel, ce concentré d’adrénaline, d’émotions, c’est le réceptacle de tout ça. Je pense à la mort de Colette Besson qui m’a terrassé et j’en reviens à Marieke Vervoort, je ne peux pas commenter sans être submergé… Et puis des larmes de joie pour Diagana à Athènes, quand quelqu’un qui compte pour vous arrive au sommet, ça tire les larmes.
Commentateur sportif, c’est un job qui aide avec les femmes ?
Je croyais, j’ai été très déçu car je pensais que j’allais cartonner et finalement non, pas tant que ça. Le succès c’est plus pour les animateurs présentateurs mais les aboyeurs de service ça ne marche pas. On a surtout un public masculin donc comme je préfère les femmes, j’ai moins d’opportunités… Grand regret.
A l’inverse, vous avez souvent été critiqué et de façon assez dure, comment réagissez-vous face à ça ?
Par rapport à ça j’ai une attitude très claire, il y a les critiques intempestives qui s’appuient sur par grand chose, des insultes le plus souvent, celles-là je n’y accorde aucune importance. C’est l’équivalent des gribouillis sur les portes des latrines avant que les réseaux sociaux existent. Ça ne me dérange pas du tout. Je suis très attentif aux critiques constructives, j’essaye de m’en nourrir, ça ne me blesse pas plus que ça. Je suis un personnage clivant, je ne peux pas lutter contre ça, j’essaye de m’améliorer mais le plus gros est fait maintenant. Les critiques constructives m’intéressent.
Ça va mieux avec Nelson Monfort, c’était quoi cette embrouille ??
Tout ça c’est des conneries, pas de tension entre nous, on a eu des différents, on est pas toujours sur la même longueur d’ondes. Aujourd’hui on a des relations excellentes même si on a pas la même philosophie. Il y a des tensions dans le service car les places sont limitées, il y a des frustrations mais c’est valable dans toutes les entreprises. Pas plus de tension qu’ailleurs.
C’est un fléau en athlé mais est-ce qu’il y a du dopage à France Télévision ? Vous carburez à quoi ?
Très honnêtement j’ai arrêté la clope pour commencer la course à pied, je ne bois, pas. De la coke chez nous il n’y en a pas. Quand j’ai débuté c’était Ricard et whisky, aujourd’hui on est hyper sobres, pas d’addiction de ce type.
Notre article risque de s’appeler Patrick Montel Jordan en référence à un chanteur RnB, quel type de musique écoutez-vous ? Qui est votre chanteur préféré ?
Oui je le connais, je trouvais ça cool qu’un mec s’appelle Montel Jordan mais le RnB, j’accroche pas. Moi c’est le rock, je suis vraiment 100% Rock’n’Roll dans l’état d’esprit et dans les goûts musicaux. Arcade Fire c’est mon groupe. Alain Bashung, j’ai un amour éperdu pour lui. Il a d’ailleurs fait une chanson magnifique sur Marie-Jo, sur sa foulée.
C’est pas trop dur de meubler pendant un marathon ? Vous pouvez remercier les kényans de le boucler si vite !
Non car le marathon ce sont des histoires, des destinés qui s’entremêlent. J’aimerais aller au bout de ces histoires, le marathon de Paris c’est seulement 2h30 de direct, je voudrais faire plus, aller à la rencontre des amateurs, écouter leurs sensations. Je suis assez affolé d’ailleurs car un équipementier célèbre a promis de casser une certaine barrière, ce qui m’intéresse se sont les duels mais pas les records, je trouve ça ridicule voir irresponsable. Ça ne veut rien dire. Ça m’inquiète beaucoup, c’est la folie de l’homme.
Vous pouvez nous promettre de nous faire une dédicace pendant le marathon de Paris ? Certains d’entre nous vont le courir et ça sera pas beau à voir !
Oui bien sur, j’ai aucun souci pour promouvoir, donner un petit coup de main. Par contre j’ai bien peur qu’on ne vous voit pas, vous serez noyés dans la masse !
La classique parce que vous en avez vu des milliers, quelle est votre définition d’une jolie foulée ?
C’est prendre la foulée de Kipketer, ajouter celle de Rudisha et diviser par deux. C’est la grâce ultime. Deux coureurs de 800m, ma course préférée, c’est stratégique, on ne peut pas être con et gagner sur 800.