LA CORSE À PIED – 109 KM DE CHEZ TOI À CHEZ MOI

“Quel enfer la montée pour arriver chez toi ! Ras le bob !” On est en Septembre 2018 lorsque cette phrase pleine de dépit est prononcée par Alassan sur la terrasse du bar du petit village corse de Corbara. Il vient de rallier en vélo la maison du père de Jérémie depuis celle de son père à Pietracorbara. Après quelques verres de Cap Mattei servis par Ambroise le propriétaire, l’idée de faire ce long périple en courant émerge. Une centaine de kilomètres séparent les deux villages Corses, un sentier en montagne, un désert, et quelques sangliers. Deux ans plus tard, en Septembre 2020, ce rêve fou peut enfin devenir réalité, l’organisation n’étant pas une compétence désirée pour entrer chez Jolie Foulée.

C’est donc une team triée sur le volet qui se monte pour se démonter en Corse et accompagner ces deux potes dans leur projet débile. Kéké, Jeannot puis enfin Pimmie bouclent leurs sacs et s’envolent pour l‘Île de beauté.

La corse à pied - Pim Rinkes

“La Corse à pied”

Jour -1

Les protagonistes se réunissent chez le père du jeune Brondillant pour régler les derniers détails. Le départ n’est même pas donné et c’est déjà le merdier. Kévin a “oublié” son sac de trail. La trace n’est pas tracée. Alassan n’a pas couru depuis 3 semaines et Jérémie se chie dessus. Heureusement que le père d’Alassan qui devra assurer la “non”-assistance lors cette aventure a pensé à tout pour re-solidariser les troupes. Un apéro/barbecue assassin avec les meilleurs produits locaux : coppa, lunzo, Cap Mattei, limoncello, tutti quanti. La fine équipe sort de table à 16h complètement cramoss. Le secret pour foutre en l’air une préparation en un claquement de doigts. Le soir c’est atelier sandwichs, répartition des gels Maurten, vaseline et crème solaire. Jean prodigue de précieux conseils pour bien paqueter les sacs de trail, et enregistre le parcours de la première étape sur les montres. 46 KM avec plus de 2200m de D+ et un ravitaillement prévu au KM30. Le réveil est réglé pour 5h du mat afin d’éviter la chaleur et les 25 degrés annoncés. Il est 00h30 quand les lumières s’éteignent.

Jour 1

Les 5 inconscients ont très peu et très mal dormi. Le petit déjeuner est avalé et les WC prennent aussi cher qu’après une part de tarte au pruneau. Il est 5h55. Nous sommes devant le panneau du petit village de Pietracorbara en Haute-Corse et l’allumage des frontales annonce le début d’une aventure qui sera sans doute l’une des plus corsées (jeu de mots) que ces illuminés vont vivre. Au même titre que les lumières s’enfoncent dans le maquis corse, l’excitation se fait ressentir, nous y voilà ! Les 8 premiers kilo se font en crapahutant dans le maquis avant d’atteindre le col de la Chapelle St Jean pour rejoindre le redoutable mais magnifique sentier des crêtes. Il les emmènera sur les hauteurs de Bastia où l’assistance a prévu de les attendre pour le ravitaillement, mais nous reviendrons sur ce point. Le lever de soleil sur l’île de beauté est superbe et annonce une journée muy caliente. L’arrivée au sommet du Monte Stello après 16 bornes, le deuxième plus haut sommet du Cap Corse, annonce déjà la difficulté que certains devront braver. La vue, comme la longue montée, est à couper le souffle. On voit la mer des deux côtés du Cap, un rêve qui se réalise pour les deux mordus de Corse, Alassan et Jérémie, mais qui tournera bientôt au cauchemar pour ce dernier. Au loin la ville d’arrivée de St-Florent se distingue et beaucoup de chemin reste à parcourir alors que les jambes commencent à souffrir. 

La corse à pied - Pim Rinkes

Kilomètre 24 vers 11h, les réserves d’eau sont presques vides, et il reste à combler les derniers km jusqu’à la fin du sentier. Le soleil, la chaleur et l’effort ont raison d’une partie de l’équipe,

le rythme ralentit. Jérémie enclenche le mode survie, inspiré de Tintin et le Crabe aux pinces d’or. Il sort son k-way pour le caler sous sa casquette et se protéger du soleil ardent à la manière Touareg. Kevin, qui a volontairement oublié sa casquette à la maison pour être plus beau sur les photos, voit ça et se dit qu’il n’a pas le choix. S’il veut continuer il doit se protéger. Il adopte ainsi la même technique et sacrifie le style. Il le paie au prix fort vu la tête de con que ça lui fait. Finalement ça aurait été moins pire de prendre la casquette…

Jean et Alassan arrivent en premier au lieu du ravito au kilomètre 30. Surprise, l’assistance n’est pas là. Au fond ce n’est pas si illogique. Le père du brondillant et son pote Bruno ont pris du retard en s’arrêtant bouffer asiat sur la route. Le temps de se recharger en vivre et de se plaindre (beaucoup), l’équipe repart. Enfin presque toute l’équipe. Assoiffé depuis deux heures avec les réserves d’eau à sec, Jérémie s’accrochait à l’idée de tomber 1,5L d’eau d’un coup au ravito. Arrivé sur place frigorifié alors que la température est de 30 degrés, il ne peut rien avaler. Ni eau, ni coca, ni bananes, ni les bêtises que raconte Alassan. Le constat est cruel. Il est déshydraté, son corps ne veut plus se ravitailler, et il est plus prudent de s’arrêter là s’il veut repartir le deuxième jour. Les derniers km se font sur des portions descendantes jusqu’à Saint Florent pour les rescapés. Il est 17h, l’équipe arrive à la terrasse du bar du port de St-Flo. L’étape est finie, les visages sont marqués mais la Pietra en pression redonne du baume au coeur. La nuit va être courte car il faudra avaler les 63 KM pour boucler ce chantier.

La corse à pied - Pim Rinkes

Jour 2

Le réveille sonne à nouveau à 5 du mat. Quelle tannée. Les jambes sont aussi dures que des oeufs durs malgré la récupération piscine-bière de la veille. Le départ est prévu encore plus tôt car il faudra être le plus rapide possible sur la première partie du tracé pour éviter de suffoquer sous la chaleur. Et oui, sur les 63km à parcourir, les 40 premiers se feront en totale autonomie dans le terrible Désert des Agriates, le long du sentier Littoral. Aucun point d’eau n’est présent sur le chemin et le soleil a prévu de cogner très fort. Le team quitte le camp de base à 5h30. Le début de la traversée du sentier avec le lever du soleil dévoile un paysage paradisiaque, même si c’est en réalité l’enfer qui leur tend les bras. Il est 7H, l’équipe traverse Saleccia et son sable blanc, Alassan reçoit un nude sur son iPhone, est-ce les premiers signes d’hallucination? Au fil des kilomètres sur un terrain escarpé longeant les plus belles plages de Haute-Corse, l’air devient étouffant. L’eau dans les gourdes s’épuise une nouvelle fois, comme les coureurs. Le soleil plein phare, les Oakley Radar vissées sur le nez, les gars avancent et s’efforcent de faire des pauses toutes les 30 minutes pour reprendre des forces et se rafraîchir à l’ombre. Les corps cuisent tels des calamars dans une friteuse (comparaison sortie tout droit du cerveau d’Alassan). 

La corse à pied - Pim Rinkes

Il est 13h quand les gars sortent enfin du sentier littoral pour arriver sur la plage d’Ostriconi après 42km (un marathon ndlr). Il faut traverser des hordes de cul-nus qui ont fait de la plage leur territoire de chasse pour arriver au ravitaillement. Le contraste est saisissant entre ces humains profitant des dousses caresses de l’écume sur leur sexe dénudé et cette équipes de traileurs habillés en Nike de la tête aux pieds sortis de nulle part. Le pire c’est que, comme à son habitude, la non-assistance s’est bien foutue de leur gueule et était en train de faire le dauphin dans les vagues lorsque les gars débarquent atomisés. En guise de récompense, une pomme et une bouteille de 1L pour réceptionner la troupe assoiffée. Les corps sont usés, les visages meurtris, les beaux hommes ne le sont plus. Lors du ravito, ça ne parle pas trop,  mais les plus grosses difficultés de La Corse à pied sont désormais derrière eux. 

La corse à pied - Pim Rinkes

Il ne reste plus qu’une vingtaine de km à combler. Un savant mélange de sentiers et de bitume. La moindre côte devient une véritable épreuve et la lucidité se perd chez certains, à l’image de Jérémie qui se démonte dans une descente en atterrissant les quatre fers en l’air dans le maquis. À 16h30, au bout de 58km, les voilà arrivés à l’Ile Rousse, dernier checkpoint avec assistance avant l’arrivée à Corbara. Les visages s’éclairent et les grimaces laissent place aux sourires. “Ras le bob, il reste cette putain de montée pour arriver chez toi”. Les derniers KM d’ascension se font dans la sérénité, les coureurs épuisés touchent au but et abordent cette dernière difficulté de 6km sans pression mais dans des états d’esprit différents. Jean débranche le cerveau et part en sprint à l’assault de la longue montée finale. Le reste de la troupe y va à son rythme, au plaisir comme on dit, mais ça c’est relatif. Tout le monde se retrouve sur les hauteurs de Corbara et termine ensemble, main dans la main comme un bande de joyeux drilles, devant la maison du père de Jérémie. Accueillis comme des zéros par leurs proches, ils sont là devant ce satané panneau, 109 km plus tard. Le pire dans tout ça c’est que cette performance n’a rien d’extraordinaire pour ces coureurs ordinaires, il s’agissait simplement de réaliser un défi de con-toir.

Rien à gagner. Tout à perdre.

La corse à pied - Pim Rinkes

Pictures by Pim Rinkes <3

La corse à pied - Pim Rinkes
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