Ô toi le coureur solitaire, Ô toi la runneuse misanthrope, toi qui boude les sorties de groupe et qui refuse de te laisser enrôler dans un « running crew », toi qui n’arbore aucun blason et qui ne défend l’honneur d’aucun clan. Ô toi la louve farouche, Ô toi le dernier des Mohican, tout compte fait, ne serait-ce pas toi qui a raison ? Ne vaudrait-il pas mieux courir seul que mal accompagné ?
Si vous y réfléchissez, la course à pied n’est pas du tout un sport d’équipe. C’est avant toute chose (et c’est écrit dedans) une course. Une course contre tous les autres mais surtout une course contre soi-même. La course à pied ce n’est pas courir et encore moins courir ensemble. Non. C’est se battre contre son propre corps, son corps de lâche ! C’est une bagarre de rue où le mental du coureur affronte son cœur qui frappe les tambours de guerre, ses poumons qui l’étranglent, et ses deux jambes qui lui les brisent. Et ces cinq cons-là ne veulent qu’une chose, voir la tête flancher, la persuader de rendre les armes, pousser le mental à abandonner.
C’est pourquoi en course à pied, progresser ça ne veut pas du tout dire courir plus longtemps, ni courir plus vite. Non. Cela veut juste dire se faire plus mal et ne pas se dégonfler. Progresser c’est muscler son jeu Robert, c’est muscler l’Esprit. Le mental pour les moteurs, Suzanne ! Hélas, il n’existe pas de dopage pour ça, il n’y a qu’une seule façon de renforcer son mental, il faut faire ses classes à ce que Alain Mimoun appelait « l’école du courage et de la volonté ». Dans cette école-là, c’est la douleur qui donne les leçons et face à elle on se retrouve toujours seul.
Ce n’est pas pour rien que chaque dossard en compétition porte un numéro unique, qu’il n’y a jamais d’ex aequo dans ce sport et qu’il n’y aura toujours qu’une seule médaille d’or à la fin. La course à pied est un sport in-di-vi-du-el ! Parce que personne ne peut souffrir à votre place, personne ne peut aller voir de l’autre côté du mur pour vous et personne ne finira votre course si vous l’abandonnez. Il FAUT savoir courir seul ! Apprendre à se retrouver avec soi-même, s’aménager sa petite bulle pour mieux la retrouver les jours de compétition, s’y sentir comme à la maison. Aller frapper à la porte du courage de temps à autre, voir si il y a quelqu’un. Mettre ses tripes sur l’asphalte ! S’entraîner à faire des sorties sans musique, sans poto, avec juste sa bite et sa Suunto. Ne plus se reposer sur la motivation de ses partenaires d’entraînement et cesser de se cacher derrière un lièvre pour battre son record perso.
Alors, de temps en temps au moins, aller voler en solo. Arrêtez de courir avec vos meufs/mecs/non-binaires, y en a toujours un des deux qui se fait chier dans l’histoire. Arrêtez de courir avec vos collègues qui parlent de boulot ou pire de leurs mômes. Arrêtez de courir avec les Adidas Runners, c’est une secte. Arrêtez de courir avec ces tocards de Jolie Foulée, ils sont bons qu’à tirer la course à pied vers le bas.
Entraînez-vous seul ! Inscrivez-vous à une course seul. Passez cette putain de ligne d’arrivée seul. Et aller célébrer ça à plusieurs, à pleins, avec tout le monde entier ! Parce que boire seul, on respecte, mais ça s’appelle de l’alcoolisme !