La meilleure manière de présenter l’imprésentable Lionel Fracture serait de dire que c’est la moitié de Jolie Foulée. Et ce n’est pas “Jolie”. Celui qui a fait autant parler de lui sur la piste de danse que sur celle d’athlé est vu par certains des membres de l’équipe comme une figure paternaliste, et par d’autres comme un terrible tortionnaire qui les a fait plonger dans les méfaits de la course à pied. Ce qui est vrai c’est qu’une team de coureurs sans un Lionel Fracture c’est comme un baiser sans moustache : fade et sans intérêt.
Lionel, peux-tu te présenter rapidement, d’où viens-tu, quel âge tu-as, ce que tu fais dans la vie, cuissard ou papillon, etc. ?
Lionel Fracture parce que mes os ont eu une fâcheuse tendance à se briser dans ma jeunesse. Bientôt 33 ans, le temps passe vite ! J’ai bâti une carrière sans queue ni tête dans les milieux du sport et du textile, je participe aujourd’hui au projet Distance qui correspond bien à la vision que j’ai de la course à pied. À côté de ça on a fondé Jolie Foulée avec Idris il y a bientôt 7 ans et ça résume bien ce qui me fait vibrer : faire les cons avec les potes, se donner à fond à travers le sport, se régaler en soirées sur de la musique de plus ou moins mauvais goût, saupoudrer tout ça d’alcool et d’ironie. J’étais très fan du côté vintage du short papillon et plutôt fermé sur le cuissard par le passé mais Eliud Kipchoge m’a convaincu. Surtout ne pas associer short et collant, un bel homme doit savoir ça.
Tu es un peu le Obélix de Jolie Foulée, car la course à pied tu es tombé dedans étant petit. D’où te vient cette passion encombrante? Quels sont tes records aujourd’hui ?
Mon père était skieur de fond mais l’été il s’entretenait en courant. On a donc une belle collection de tee-shirt finisher vintage dans la famille et j’ai fait quelques relais avec lui quand j’étais tout gamin, pas forcément une réussite, ma mère m’a raconté que j’ai pleuré quand le starter a donné le coup de feu de ma première course… J’y suis revenu de longues années après, j’avais foutu en l’air ma première année de fac au bout de 10 jours et j’avais besoin de rythmer mes semaines autour d’autre chose que les cours, je suis allé au club de ma ville, l’ASU Bron, bon club de la région lyonnaise. Il a notamment révélé comme athlète Annette Sergent, championne du monde de cross. Je n’ai pas réussi à faire briller les couleurs brondillantes comme elle, l’apothéose de ma carrière : une qualif en championnat de France espoir sur 10K, j’ai terminé dans les derniers. Mon meilleur souvenir restera d’avoir réussi à atteindre l’équipe 1 des interclubs sur 800m. Aujourd’hui, à force de batailler avec Nico, Jean ou Alass à l’entrainement, j’ai à peu près retrouvé le niveau que j’avais à l’époque, j’espère passer sous les 34′ sur 10 (avant d’être trop vieux) et venir taquiner Nico sur marathon. J’adorais la piste mais repasser sous les 2′ sur 800, je ne pourrai plus avec la vie qu’on mène !
Si chaque mois des dizaines de milliers de personnes lisent ce torche-cul, c’est un peu de ta faute. Raconte nous ta version de la création de Jolie Foulée.
On s’est rencontré à travers skyblog Idris et moi, les sneakers et la hype ça passait via skyblog à la fin de notre adolescence, Tdrl n’était pas loin non plus, on ne le connaissait pas mais on connaissait son blog. J’ai passé un été à Lacanau avec mes potes de Lyon (dont le légendaire Cédric Gouffefrisée), Idris étant tout proche, à Bordeaux, c’était l’occasion de le rencontrer, on a fait le Nike Factory du coin ensemble avant de se caler sur la plage. Dans la soirée, Idris a gagné le surnom de Dracofeu pour sa capacité à cracher du vomis, on s’est donc rendu compte qu’au delà des shoes, on avait une passion commune pour la fiesta. On est devenu potes. Plus tard, en août 2013, j’étais de retour pour quelques jours de vacances chez Idris à Bordeaux, on se remémorait l’époque skyblog et on s’est dit qu’il fallait qu’on relance un truc. Personne ne parlait de course à pied de façon cool, ça nous permettait de garder aussi un pied dans les sneakers (pardon pour ce jeu de mot), on a bricolé un premier logo qui ressemblait à rien (merci à Benito de nous avoir aidé pour en créer un qui a de la gueule), on a ouvert un blogspot et Jolie Foulée était lancé. Les inspirations étaient So Foot et Vice qu’on lisait beaucoup, un peu ironique, un peu trash mais en respectant notre sujet. Jerem et Ben, qui faisaient partie de la même génération de stagiaires que moi chez Nike, ont directement kiffé l’idée et ont proposé de contribuer au projet. Puis sont venues les premières courses sur lesquels on débarquait en team avec les potes. Dès le départ le niveau était hétérogène, globalement très faible mais on passait du bon temps tous ensemble. Au fil des années, quasiment toutes les marques nous ont contacté, l’équipe s’est agrandie, les voyages, les courses, il y a eu des périodes plus compliquées que d’autres mais bientôt 7 ans que cette bêtise continue et on arrive encore à se surprendre les uns et les autres.
Ton meilleur et ton pire souvenir de l’histoire de Jolie Foulée ?
Tout le monde a parlé de Breakin5 qui était un moment magique, pour moi il y a un autre week-end qui représente vraiment bien ce qu’est Jolie Foulée et que j’avais adoré. Une partie de l’équipe était sur le marathon de Copenhague, Kevin, Jerem et Alass de mémoire, de mon côté j’étais avec Pierre et Cédric aux Nuits Sonores. Pendant qu’eux se mettaient mal sur les 42K, on était en train de faire n’importe quoi en festival. Alassan que j’avais sortie du cross fit a tout éclaté, je me rappelle être encore saoul de la soirée de la veille et avoir mis le réveil pour voir les perfs, j’avais des frissons rien qu’en guettant les temps de passages d’Alass sur l’appli, on échangeait des sms en live sur sa perf avec Nico. Le tout est immortalisé à travers une story instagram, l’équipe de Copenhague et l’équipe de Lyon s’envoyaient des messages à la con en vidéo, on s’est régalé. Hello Birds aussi c’était très fort, avec une team qui s’est vraiment soudée. J’ai aussi été invité à courir un semi en Tunisie accueilli comme des stars avec Jean-Pierre Run Run. Et j’oublie encore plein de moment où je me suis dit « Mais qu’est-ce que je fous là ?! » (dans le bon sens du terme !).
Pire moment, mon premier marathon à Amsterdam, j’avais pris la distance de haut, je pensais faire sub3 easy direct, trop peu de kilomètres pendant la prépa, je passe au semi dans les temps puis je me nique la cuisse et j’abandonne. Une blessure que je vais trainer pour plusieurs mois. Mais bien pire que ça, Idris termine tout juste sous les 4 heures « sans s’entrainer ». Pour lui il m’avait donc battu sur marathon, encore aujourd’hui (alors qu’il est toujours aussi nul qu’à l’époque), il me ressort ça pour me faire chier !
Ton talent c’est d’avoir réussi à mettre des incapables à la course à pied. Je pense à Alassan, Idris, Adrien Béarnaise, Jérémie, TDRL, mais surtout Cédric. Comment es-tu parvenu à les entraîner dans ce pétrin ? Ce n’est pas trop difficile de devoir gérer des cas si désespérés au quotidien ?
La course à pied est un sport hyper accessible, il suffit d’une bonne paire de baskets (achetée chez Distance) et d’un peu de bonne volonté. C’est encore plus facile de se motiver et plus appréciable quand on peut pratiquer avec des potes. Franchement j’ai parfois été bluffé par les gens qui se sont chauffés pour courir avec moi, même pour un footing ou pour leur unique course de l’année. Il y a la dream team citée dans la question mais je pense aussi à ma soeur, à mon ancien collègue Fred qui a 50 ans et qui avait peur de ne pas pouvoir suivre. Ce qui est bien avec Jolie Foulée c’est que même si tu ne prends pas forcément un plaisir immense en courant, tu sais que tu vas passer un bon moment avec les potes. Ça doit être pour ça que j’ai réussi à mettre en place des entrainements à 6h du mat’, j’adore démarrer ma journée avec les gars. Certains ont régressé (Idris, Cédric), certains ont progressé (Kevin, Saint-Bernard), certains font vraiment n’importe quoi et d’autres ont des potentiels assez exceptionnels (Alass, Jean). Parfois je suis un peu misanthrope mais du coup tous mes potes sont des gens supers biens, ça a permis de construire un groupe solide. C’est un vrai plaisir de passer du temps ensemble, si certains sont perdus pour la course à pied, ils valent vraiment le coup d’être connus pour une raison ou pour une autre.
Balance nous un secret sur un des gars de l’équipe.
J’en ai des dossiers ! L’un de mes préférés c’est quand même la passion commune de deux membres de l’équipe pour la tecktonik. Leurs noms d’artistes sont excellents et il y a une magnifique vidéo sur YouTube de l’un des deux. Je ne vais pas balancer de nom mais ils font partie de la génération la plus jeune de l’équipe et leurs prénoms commencent par la même lettre. On va me découper à l’aztèque si j’en dis trop.
En tant que puriste de la course à pied, qu’est-ce-qui t’inspire le plus dans ce sport, et à l’inverse qu’est-ce-que tu ne supportes pas ?
Clairement ce sont les champions et championnes qui m’inspirent, Békélé, Kipchoge, Lagat mais aussi des athlètes plus proches de nous, Liv Westphal, Rénelle Lamotte, Jimmy Gressier, Djilali Bedrani, les frères Gras, Mehdi Frère, des athlètes qui ont moins de moyens et qui dédient leurs vies à la course à pied. C’est un sport où il n’y a pas beaucoup d’argent et où les sportifs de haut niveau restent globalement très humbles et accessibles. J’ai eu la chance d’aller au Kenya grâce à mon pote Guillaume de Distance, j’ai pris une sacrée claque, les équipements rudimentaires, la pauvreté… Les kenyans restent positifs, des gens qui courent partout et des sourires, toujours.
Ce que je supporte de moins en moins c’est lnstagram, les sportifs du dimanche qui se sentent obligés de faire une story sur leur moindre footing, les influenceurs trop centrés sur eux-mêmes et qui se prennent pour des sportifs professionnels, les crews insipides qui ne proposent rien de nouveau. On essaye de faire tout sauf ça avec Jolie Foulée, c’est pour ça qu’on est une team, qu’on revendique notre absence de talent et qu’on a décidé de tirer la course à pied vers le bas.
Je vais poser la question que des centaines de personnes se posent et n’ont jamais osé te demander directement. Fracture c’est vraiment ton nom de famille ?
Pas mal de gens ne me connaissent que sous ce nom, j’ai même déjà reçu des courriers adressés à Monsieur Lionel Fracture mais comme je l’expliquais tout à l’heure, ce n’est qu’un surnom gagné grâce à ma faculté à me péter le tibia (deux fois), le poignet, le pouce, etc. Mon nom de famille est breton, Jagorel (Jagogo pour les potes), je crois que mon père m’a dit que ça voulait dire « mauvais garçon », c’est cool aussi.
Si tu pouvais passer une soirée en boîte de nuit avec un athlète la veille d’une course, tu choisirais qui ?
Si j’ai des ambitions et que je veux rester sage, je dirais Christelle Daunay, je suis sûr qu’il ne se passera rien et qu’on sera couché à 23h. Si j’ai besoin d’une excuse pour ne pas prendre le départ, pourquoi pas Pierre-Ambroise Bosse, ça se termine en bagarre et donc blessure pour le lendemain. Et si je veux m’éclater, je pense à Ezekiel Kemboi, double champion olympique et pote de Mekhissi, qui célébrait ses victoires avec des danses incroyables.
Ta définition d’une Jolie Foulée.
Quand j’étais en club à Bron, j’adorais regarder l’entrainement de Héni Kechi, champion de France de 400m haie à l’époque, sa foulée et les passages de haies, c’était magnifique. À l’inverse, à Bron, on a aussi l’une des foulées les plus dégueulasses, celle de Cédric Janjia Gouffefrisée, à montrer dans toutes les écoles d’athlétisme comme exemple à ne pas reproduire !