Paris. Samedi 21 Mars 2015. En ce premier jour du Printemps, sont organisées les très sélectives Foulées du Tertre. Sentant le fort risque de défaillance et ne pouvant pas ne pas aligner de coureur sur une course cousine, la team Jolie Foulée a envoyé son meilleur élément au Bilan 2014 affronter la bute. Le redoutable Rod Reynolds.
Une nouvelle fois, c’est avec la motivation d’un inconscient qui croit être capable de dominer les cimes montmartroises sans réelle préparation, qu’il s’est engagé dans la course des Foulées du Tertre. De nombreux handicaps à faire valoir : un aller-retour express de 17h à Varsovie pour passer un moment avec son amoureuse chérie, un genou gauche blessé, et pour ponctuer le tout, de vilaines chaussettes blanches aux pieds, les noires étant à la machine. C’est aussi ça Jolie Foulée, des têtes brulées à la conquête du monde comme chantait la Fonky Family dans l’ « Amour du risque ». Un titre parfaitement adapté à son état d’esprit au moment du départ de cette course de côtes, au dénivelé faramineux pour une vulgaire course parisienne. Pourtant, la motivation est au rendez-vous. Montmartre c’est son quartier, il connaît le moindre pavé, et s’est illustré lors de deux belles sessions de repérage avec les potos de Boost Les Abbesses. Fidèle à la stratégie de Jolie Foulée, il arrive en retard pour ne pas avoir à se taper l’échauffement. L’orga est à la bonne franquette. Les tapis de chrono sont installés tout juste avant le départ. La sono grésille en crachant du Michel Télo. Crêpes sucrées et autres galettes saucisses embaument l’atmosphère. Les clowns de quartier assurent le show. Aucun doute, on reconnaît bien la Montmartre Touch des organisateurs de l’Office Municipal des Sports du 18è. Deux bénévoles et demi s’attèlent à improviser sur des bouts de scotch des tickets pour la consigne vestiaire. A l’arrache eux aussi, mais tellement gentils. De vrais amours !
Le moment fatidique du départ approche. Il fait frisquet, on frôle tout juste les 9 degrés à 15h pour le premier jour du printemps. Il n’y a vraiment plus de saison… L’expérimenté Rod garde son sweat jusqu’au dernier moment. Il s’en débarasse juste avant le coup de feu, en se rapprochant de la voiture d’un commissaire, déjà un peu rougeot, qui lui lance « arrivez dans les 30 premiers, hein pour le récupérer, après je serai à la buvette ! ». Malin comme un singe, et sachant que le départ allait être tonitruant, notre héros fait mine de refaire ses lacets devant la ligne de départ pour se faufiler parmi les premiers. Opération réussie, le voilà en première ligne pour le coup de pétard ! Bang ! Le gun crache sa flamme. La meute est lâchée. Ça joue des coudes très sérieusement pour arriver en tête dans la « gargouille », un petit passage entre deux maisonnettes avant une descente de 600 mètres à tombeau ouvert sur les pavés. Chaussé de ses Adidas Boston Boost et leur semelle anti dérapante Continental, Rod est en place dans la descente menée tambour battant à près de 20km/h…
À l’issue du kilomètre 1, il est dans les dix premiers, mais il sent bien que quelque chose cloche… Un coup d’oeil à son appli Nike+ lui permet de comprendre. Le premier kilo a été mené en 3min12, soit 20 secondes de mieux qui son temps de référence. Le suicide. L’homme qui court avec l’iPhone 6 à la main comprend que la course va être longue. Qu’à cela ne tienne, il s’accroche, même s’il voit le peloton de tête le distancer tout doucement dans les nombreux virages en dévers des Abbesses. Il attend la longue côte Caulaincourt Lamarck qu’il connaît par coeur en se disant que les furieux lèveront le pied et que son gabarit de grimpeur le ramènera aux avant postes. Erreur… Il est en sur-régime total. Il grimpe la côte en zig zag, tel Abdel-Kader Zaaf, ce fameux coureur cycliste Algérien des années 50 qui s’était mépris à boire dans un bidon d’un spectateur qui contenait non pas de l’eau mais… du vin ! Première montée, premier passage sur la ligne, il est déjà relégué à la trentième place, avec deux points de côté, le visage écarlate, et le sentiment que le calvaire ne fait que commencer. Il décide alors de récupérer un peu, de faire le second tour « en dedans » pour tout donner dans le troisième. Deuxième montée, toujours aussi cuit, il surprend ses supporters dévoués murmurer à son passage « putain il est dans le dur le Rod ». Merde ! Piqué au vif, le voilà bien décidé à montrer à ces aveugles qu’il en a encore dans les cannes. C’est le début du Festival.
Il chope tant bien que mal un gobelet avec une gorgée et demi d’eau sur le second passage de ligne, et entame l’ultime tour avec une forme et motivation revenues. Il se retrouve avec un coureur au maillot CJF Fleury Les Aubrais qui court à un rythme similaire, l’occasion pour se relayer sur les derniers kilomètres. Par contre pas de pitié. Ce sera chacun pour sa peau dans l’ascension finale. Les coureurs lents se font prendre un tour alors que le dernier km approche en visu. Dernière montée, la forme est revenue, et les chevaux lâchés pour gagner quelques précieuses secondes. Rod a tout donné. Il passe la ligne exténué, sans réussir à se pencher pour ôter la puce de ses lacets. Ghislaine, bénévole, tire la gueule. Il signe une très belle performance en terminant 32ème sur 649 coureurs, en 39’35. Malheureusement pas suffisant pour récupérer son fidèle sweat qu’il ne reverra jamais.