La journée avait commencé comme une veille de marathon idéale. Un jogging au bord de l’océan qui se finit autour d’un café pour parler allure, choix de tenue et nombre de gels Maurten. Mais un sujet moins banal est dans toutes les têtes : le vent. On annonce 40km/h demain à San Sebastian avec des rafales à 75km/h. Le gruppetto préfère se mentir et rester optimiste : « faudra se cacher derrière d’autre coureurs », « le vent on l’aura aussi dans le dos parfois », « ça va nous couter une ou deux minutes max », « le chrono n’en sera que plus beau ».
12h25 départ de Saint-Vent pour aller chercher les dossards. On profite d’être en Espagne pour s’envoyer des pinxos et une bière (sans alcool). Puis retour à Saint Jean pour un « temps calme » avant la Pasta Party. Alors que nos coureurs épinglent leurs dossards, la nouvelle tombe dans le groupe WhatsApp. Un screenshot du mail d’annulation de l’orga qui frappe comme un coup de massue. La course est annulée « en raison des alertes météorologiques extrêmes émises par les autorités compétentes ». Le Marathon de San Sebastian 2024 est mort. Nos athlètes sans talent vont devoir dire adieux à leur chère et tendre prépa et à leur PB mort dans l’œuf. S’en suivra une longue soirée de deuil collectif.
Etape 1 : Le Déni
Chacun vérifie sa boite mail espérant une blague. Mais la lettre d’annulation est bien là. Comme un étron chaud déposé sur 3 mois d’entraînement et de sacrifices. « Mais c’est pas possible, putain ! »
Pendant une demi heure, les non-marathoniens ne veulent pas et ne peuvent pas y croire. Les têtes vacillent inconsciemment de gauche à droite. « Non non non ». Ils pensent qu’ils vont se réveiller de leur sieste et que tout ça n’aura été qu’un mauvais rêve.
Etape 2 – La Colère
Les points serrés, certains voudraient faire des trous dans le murs à défaut de pouvoir tabasser un météorologue innocent ou une autorité compétente comme ils disent. « Mais quelle bande d’enculés ». « J’ai envie de faire un tas de t-shirt et de dossards et de faire un feu de joie au milieu du salon ».
Etape 3 – Le Marchandage
On entend alors émerger les solutions de replis les plus improbables et inutiles : faire une sortie de 42km quoiqu’il arrive demain matin. Rallier Saint-Jean-de-Luz à San Sebastian en footing. Monter la Rhune en Cielo X1. Courir un 10km record à l’hippodrome de Biarritz.
« Je vais essayer de trouver un dossard pas trop cher pour Valence ».
Etape 4 – La Dépression
Les regards sont vides comme le seront les rues de SanSe demain matin. Il devient intolérable de ne pas tous être réunis pour partager nos tristesses et porter le deuil tous ensemble.
« – J’ai envie de me suicider. Ca vous dit on se rejoint tous pour un suicide collectif ?
– Viens à l’appart
– Ok, j’apporte du poison ».
Etape 5 – L’Acceptation
Les vieux démons ressurgissent toujours dans les moments les plus difficiles. « On va devoir boire pour oublier ». On dépoussière les bouteilles du bar restées intouchées pendant les 2 dernières semaines et on file revoir le buraliste. Aujourd’hui, le marathon de San Sebastian 2024 est mort mais le Ricard et les Philippe Morris ont toujours le goût du Ricard et des Philippe Morris. La terre ne s’est pas arrêtée de tourner. Demain le soleil se lèvera quand même. Et à défaut d’avoir mal aux jambes, nos athlètes endeuillés auront mal à la tête. Ce soir le marathon de San Sebastian est mort mais de nouvelles amitiés vont naître.