Mardi 26 Juillet, Londres. Après le boulot, les 150 membres du Run Dem Crew se retrouvent au Ace Hotel à Shoreditch pour ce qui est sensé être la dernière session de l’histoire du crew. Premier vrai club “Running Culture” avec les Bridge Runners de New York, le Run Dem a été créé il y a 9 ans par Charlie Dark, à l’époque où il était plus efficace de dire à une meuf qu’on était joueur de fléchettes qu’on pratiquait la course à pied pour la chopper. Charlie c’est aussi le fondateur du mouvement Bridge The Gap, qui rassemble les crews de running du monde entier lors de week-ends pour faire la course et la fête tous ensemble dans une même ville. Et Charlie aujourd’hui, il en a gros.
Le mouvement dont il est instigateur n’est plus aussi exclusif qu’autrefois. Il y a maintenant pas loin d’un événement Bridge The Gap par mois, et certains crews au rabais organisent le leur. Et puis il faut reconnaître qu’il est désormais plus facile de trouver un running club qu’un sachet de parmesan au supermarché. Par dessus-tout, Nike a foutu le bordel en Décembre en arrêtant d’apporter son soutien au Run Dem Crew, préférant se concentrer sur le Nike+ Run Club. Saloperie de mainstream… Pire, il paraîtrait que Nike a même proposé une somme conséquente pour que Charlie arrête le Run Dem, et laisser le NRC s’accaparer toutes les lumières dans la place du running londonien. Mais ne nous attardons pas sur cette manoeuvre dégueulasse. Homme d’honneur, Charlie a préféré refuser l’offre et continuer le Run Dem jusqu’à cette date fatidique. Mais il en a ras la casquette Charlie. Et on le comprend.
Nous aussi on est lassé d’attacher nos lacets tous les Mardi soirs. C’est génial de se retrouver chaque semaine pour faire une sortie running dans Londres, ça nous a permis de rencontrer un paquet de chouettes personnes en arrivant dans cette ville, mais on a du mal à soutenir le speech de 1h30 avant chaque séance (ça nous fatigue encore plus que de courir). On trouve aussi qu’il y a beaucoup trop de messages postés sur le groupe Facebook des membres du Run Dem. Du coup on reçoit tout le temps des notifications, c’est un peu chiant. Et puis les histoires personnelles de chacun ne nous intéressent pas vraiment. On s’en fiche de connaître les performances d’un tel, ou qu’un autre donne un cours de salsa à l’autre bout de Londres un lundi soir. S’il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever à Charlie c’est qu’il a d’abord su fédérer pour ensuite convertir ses disciples, qui ont ainsi créé une galaxie de groupes connexes tous ralliés à la bannière RDC. Peut-être qu’on n’a pas suffisamment accroché à cet amour invétéré des anglo-saxons pour le storytelling, mais on pense surtout que chacun court pour soi et on n’a pas besoin de faire pleurer dans les chaumières pour justifier notre envie de courir. Vous avez le droit de considérer que nous sommes des fumiers, mais si on pratique ce sport, c’est pas pour les courses de charité.
Donc bon, quand même, avec les copains Adrien et Gandalf, Jérémie se motive pour participer à la dernière. Pas trop en jambes, les trois français hésitent à partir avec le groupe des Elites ou celui des “un peu moins rapides”. Ça part en peloton, et après 500m, alors qu’on se dit qu’on va y aller tranquillement en suivant les “moyens rapides” à droite, Adrien part subitement à gauche en faisant un signe insistant à Gandalf et Jérémie qui doit probablement vouloir dire “suivez-moi bordel de merde”. Une très mauvaise idée. Ça court à 3’50” au kilo sans s’arrêter aux feux rouge. Les mecs qui amènent le groupe sont incisifs comme les quatre dents de devant. Si Adrien s’accroche, Gandalf et Jérémie ont vite compris le pétrin dans lequel ils se sont fourrés.
Douze kilomètres à cette allure de kényans pas dopés jusqu’à l’observatoire de Greenwich, ça ne va pas le faire. C’est donc avec sagesse et lucidité qu’ils décident que les autres peuvent aller se faire foutre et qu’ils vont rallier l’arrivée à leur rythme. Adrien, par contre lui ne lâche rien. Six kilomètres plus loin et alors qu’ils arrivent au niveau des bords de la Tamise, les deux éléments du grupetto décident qu’il serait plus agréable de s’arrêter boire un coup sur une des terrasses surplombant le fleuve, plutôt que de s’épuiser à courir jusqu’à un endroit où plus personne ne les attendra. C’est à cet instant précis que Gandalf s’exclame “Ah, mais attends ! Je crois qu’on est juste à côté du bar qui appartient à Ian McKellen, l’acteur qui joue Gandalf dans le Seigneur des Anneaux. En plus il y a le baton qu’il a dans le film qui est exposé. J’ai toujours rêvé d’y aller !” Un petit coup de Google Maps pour vérifier, le bar en question se situe seulement à deux minutes de marche. Gandalf s’invite alors chez Gandalf. Pendant une bonne heure et quart, les deux coureurs sifflent les pintes face à la Tamise et essaient à plusieurs reprises de s’emparer du fameux baton du magicien. Les serveurs ne veulent rien entendre, bien que l’objet revienne de droit à Gandalf, et ce sont les mains vides mais le ventre plein que les deux intrépides repartent au pas de course en direction du Ace Hotel. La foulée est lourde, mais le rythme régulier. Ils rentrent donc au camp de base le sentiment du devoir accompli, en pensant être arrivés après la voiture-balai. Alors qu’ils sont en train de s’étirer “vite fait”, ils aperçoivent les premiers coureurs du groupe Élite arriver. Surpris mais contents de leur coup, ils les félicitent un à un, avec un sourire évocateur. “Bien joué, mais on vous a fumé”. Parce-que les dernières ne sont jamais comme toutes les autres. Les derniers seront les premiers.
#crewlove #goodvibesonly